Les Chasseurs « New Age »
Jun 27, 2025
À toi, qui te lances peut-être dans ta première saison de festivals de bien-être/spiritualité cet été.
À toi, qui entendras que ces rassemblements sont des safe spaces (ce qui est vrai, en partie, et crée de magnifiques espaces que nous avons la chance d’expérimenter).
À toi, qui t’y ouvriras peut-être à bras ouverts, en pensant que tout le monde est sécuritaire.
J’ai (très) envie de t’inviter à la prudence, cet été.
Non pas pour diaboliser ces communautés.
Ni pour te décourager d’aller à ces rassemblements (au contraire !)
Mais bien pour t’inviter au discernement : à écouter tes ressentis, à prendre le temps d’observer une personne avant de lui accorder ta pleine confiance — comme partout ailleurs. Et, surtout, à observer les actions d'une personne et non à croire seulement ses mots.
Pourquoi? Parce que comme partout, les communautés de bien-être et de spiritualité ne sont pas exemptes de leurs ombres. Aujourd’hui, j’ai l’élan profond de décortiquer l’une d’entre elles dans ce texte, encouragée à le publier par cinq consœurs et confrères qui ont aussi vécu/observé le phénomène en question et révisé ce texte. C’est un comportement qui cause énormément de souffrance, et c’est donc dans une intention de soin collectif et d'appel à la prudence que je le fais.
Je tiens aussi à préciser que je ne décris pas une seule situation ici, mais bien l’amalgame de nos expériences communes
Le phénomène
Le phénomène est ce que j’appellerais les « Chasseurs New Age ».
(Vous m’excuserez d’employer ce terme au masculin, mais ça a majoritairement été observé chez les hommes, envers les femmes. L’inverse peut tout à fait être vrai ; donc, si tu l’as vécu autrement, je t’invite vivement à adapter les genres.)
Si, à un moment donné de l’histoire, les hommes chasseurs avaient l’air machos, portaient un coat de cuir et du gel à la « Grease », dans nos communautés de spiritualité, ils troquent le cuir contre des pantalons amples et le gel contre l’odeur de patchouli. On n’est plus face à mononcle cochon avec sa Budweiser dans le coin. On est face à l’homme-arc-en-ciel-sauveur-de-femmes qui parle de féminin et de masculin sacrés.
Mais, en trame de fond, quelque chose est la même affaire.
La particularité (et la dangerosité) de cette « chasse », c’est que les codes du bien-être sont utilisés non pas pour le bien commun, avec une intention pure, mais bien dans une optique intéressée : pour séduire.
Le « chasseur » (terme un peu réducteur — « homme adoptant un comportement de chasse » serait plus juste) est présent, ouvert, à l’écoute. Il te valorise (beaucoup, parfois ! ou, dans un autre jargon, te love bomb).
« Tu es la femme idéale, une déesse incarnée »
« Je suis là pour toi »
« Je n’ai jamais senti cela »
(bien sûr, que si tu penses vraiment ces choses, dis-les! C’est merveilleux. De tels liens peuvent vraiment exister. Mais si ça fait 15 femmes à qui tu les répètes, c’est peut-être le moment de s’examiner un peu..)
L’intention derrière
Il t’offre toute sa présence, sa douceur. Il te regarde profondément dans les yeux en t’énumérant tout ça. Mais ce qui est recherché, en réalité, n’est pas ton bien-être, ton succès, ou ta « libération », bien que ça en ait tout l’air.
C’est d’évoquer chez toi des sentiments amoureux pour se valider, se garnir l’égo, se remonter l’estime.
C’est de séduire.
C’est, souvent inconsciemment (mais cela ne diminue en rien la blessure que cela crée) d’utiliser ce qu’il y a de plus sacré en toi - ton intimité amoureuse, sexuelle - comme un trophée de chasse. Oui, exactement comme Gino Patchino en coat de cuir.
C’est d’accéder à ton intimité émotionnelle, ou sexuelle, par perversion.
Et quand c’est dans le mille ? Poubelle. On passe à la prochaine, souvent (si, et c’est souvent le cas, autre conquête il n’y a pas déjà dans le portrait)
Que ce soit bien clair, le problème n’est donc pas dans la séduction elle-même quand on a un intérêt réel et des intentions pures de construire, de tenter une connexion dans le respect mutuel, par exemple. Le problème réside dans le fait que ce care, cette grande gentillesse, cette présence prennent donc naissance dans un espace désaligné. Dans un espace qui a soif de validation, d'importance, ou d'intimité- sans respect réel pour l'être devant lui/elle.
Pourquoi c’est problématique
Pourquoi c’est important d’en parler ? Parce que ça crée de la souffrance. Beaucoup de souffrance. Je n’écrirais pas ce texte aujourd’hui si ce n’était pas le cas.
Pour celles qui ouvrent leur cœur et leur intimité à des gens qu’on croit sécuritaires, qui nous aimes, en pensant être vues, respectées, entendues, la chute est brutale.
En se rendant compte, trop tard, qu’on a été utlisée pour la validation qu’on peut offrir– et non pour qui nous sommes, la blessure est profonde.
Elle vient brouiller des repères précieux : dignité, estime de soi, sororité.
J’ai vu des femmes quitter les communautés, se sentant humiliées, manipulées, blessées.
D’autres s’en éloigner. D’autres rester, mais se refermer et perdre le sentiment d’appartenance. Elles avait crues les mots « New Age ». La façade qui indiquait tout sauf qu'on allait être utilisée, à coup de grands compliments, de promesses, et d'hommages.
Ce n’est pas à prendre à la légère.
Une perversion subtile
Pour moi, il ne fait aucun doute que ce type de comportement va souvent de pair avec une forme de perversion. On pénètre dans l’intimité de l’autre, en y entrant presque par effraction pour y cueillir des fruits sacrés et vider le temple.
Ces intentions désalignées qui convoitent ce qu’on a de plus intime ne sont réellement pas faciles à détecter. Même par les plus inutitifs.ves d’entre nous. Elles sont derrières une énergie douce, rassurante, bienveillante.
Le plus difficile, est que nul humain n’est tout noir. Donc ça peut réellement coexister et être parsemé de moments de réelle considération, care, présence, douceur qu’on ressent AUSSI. It’s confusing en es**.
J’aimerais rajouter que si, en plus, il y a une tendance à cibler la vulnérabilité des femmes – par exemple qui approche systématiquement des femmes dans des périodes de vie vulnérables ou lorsqu’une disparité de pouvoir est présente (différence d’âge, de statut, position sociale dans la communauté), on n’est même plus dans la chasse ou la perversion. On est dans une forme de prédation.
Ce phénomène dépasse largement les communautés de bien-être et de spiritualité. On le retrouve aussi chez les enseignants, les coachs sportifs, les patrons, etc. Pour l’avoir vécu à quelques reprises dans ma vie – et si vous en parlez aux femmes de votre entourage, je ne serais pas surprise que la majorité d’entre elles soient, un jour ou l’autre, tombées dans la toile d’un tel comportement.
Il existe d’ailleurs une raison bien précise pour laquelle il est interdit, par exemple, à un thérapeute ou à un médecin de fréquenter ses patients: pour éviter tout abus lié à une dynamique de pouvoir, justement, qui nous rend beaucoup plus vulnérable à la perversion/séduction.
Mais sommes-nous toujours conscients de ces dynamiques dans nos communautés, surtout lorsqu’on prétend "porter secours" à une femme qui nous attire, par exemple ? Qu’en est-il des thérapeutes ou des leaders en position de pouvoir ? Considérant qu’il n’y a pas de structure ni de système en place (pour le meilleur et pour le pire !) dans ces milieux alternatifs, j’ai constaté que les limites y sont parfois plus floues. Cela pose un certain risque et demande une conscience accrue de ces dynamiques subtiles, pour éviter d’en profiter inconsciemment.
(J’espère à ce point-ci que le texte est pas trop lourd à lire. Ce n’est pas une réalité nécessairement facile à mettre en lumière, surtout que ça peut réveiller de grosses blessures chez celles et ceux qui ont déjà vécu ça. Si c’est toi, je suis avec toi, vraiment. Tu mérites vraiment d’être respectée, honorée dans tout ce que tu es 🌸)
Signes que tu es devant un comportement de chasse/prédation et non pas une intention pure
- Il a approché plusieurs autres femmes. Souvent, ça peut en être pathétique à quel point il a dit les mêmes choses et utilisé la même « stratégie ». Parle à tes consoeurs, c’est la meilleure protection.
- Il y a toujours la présence d’autres femmes, de manière subtile: séduction, besoin de parler ou de « connecter » avec plusieurs femmes, que ce soit en personne ou en ligne ou moins subtile: relations sexuelles avec d’autres.
- Il a le besoin d’approcher systématiquement toute nouvelle femme dans la communauté, particulièrement si elle est jolie.
- Il semble s’intéresser à toi dans ses mots, mais tu ne te sens pas réellement vue.
- Tout va très vite.
- Un grand stress, voire de la détresse, émerge chez toi en parallèle de votre rapprochement.
- Tu doutes de toi, de ta réalité, car il y a souvent une forme d’invalidation dans la relation pour maintenir ces comportements de chasse.
- Manque de responsabilisation des la souffrance créée sur les femmes
- Il disparaît rapidement ou se désinteresse rapidement quand la relation lui apportée ce qu'il recherchait - admiration, attention, sexualité
Pourquoi agir ainsi?
Il ne fait aucun doute pour moi que ceux qui ont soif de séduire sont souffrants. Qu’ils souffrent d’une estime de soi faible, voir inexistante, et s’abreuvent donc du regard des femmes et de leur amour pour combler ce trou béant.
Ça n’excuse pas. Ça explique.
Je trouve intéressant même de décortiquer les racines du mots séduction, dérivé du verbe seducere:
- se- : un préfixe signifiant "loin de"
- ducere : un verbe signifiant "conduire" ou "mener"
Donc, seducere signifie littéralement "emmener à l’écart" ou "détourner du droit chemin" et avait une connotation négative à l’origine. Je comprends. Parce qu’au final, que sert une personne qui a cette obsession de séduire?
Plus grand que soi?
Le bien-être collectif?
Sa cible?
Clairement aucune de ces réponses.
Elle sert son nombril. Ses blessures. Elle n’est pas au service de personne sauf d’elle-même.
Les communautés de bien-être : un terrain fertile
Petit mot d'appel à la prudence. Dans ces milieux, les gens arrivent souvent avec le cœur grand ouvert. On y entend rapidement que c’est un « safe space ». Résultat? On baisse nos gardes. On ouvre le cœur. On a besoin, on cherche du soutien, un espace pour guérir des blessures.
On ouvre aussi beaucoup de portes intimes et sensibles dans ces rassemblements – ouverture du cœur en communication authentique, thérapies en tout genre, certains participent à des cuddle puddles, etc.
Malheureusement, certains y voient une opportunité d'accéder à l'intimité des femmes – consciemment ou non. Les « chasseurs New Age » entrent dans ces espaces comme dans un buffet. Non pas pour offrir, mais pour cueillir. Non pas pour prendre soin, mais pour conquérir.
Le spectre
Bon. Tu te reconnais un peu, beaucoup, complètement dans ce texte ?
Il faut savoir que, comme toute chose (eh oui), c’est un spectre. C’est-à-dire qu’on peut le faire un peu, on peut le faire beaucoup. Le bon indicateur, pour moi, qu’il est temps que quelque chose change, c’est le niveau de souffrance qu’on crée autour de soi. Est-ce que plusieurs personnes t’ont déjà dit avoir été blessées par ton comportement, par exemple ? Est-ce que tu reconnais avoir convoité l’intimité des gens pour des raisons égoïstes, sans considérer leur bien-être aussi?
Quoi faire maintenant
Séduction à outrance, chasse, perversion ou prédation, ça ne peut pas être plus clair pour moi que ce comportement n’a pas sa place dans des communautés de bien-être. Les communautés spirituelles doivent être des refuges, pas des terrains de chasse.
On est supposé évoluer dans des communautés dites « consciente ». « Intentionnelles ».
Mais, avant de séduire, d’approcher, de flirter, le faisons-nous réellement avec intention? Le faisons-nous toujours en réelle conscience et respect profond de ce qu’on ouvre en soi ou chez l'autre?
Pas suffisamment, selon moi. J’ai observé, et expérimenté, beaucoup de ce genre de dynamique et de séduction par égo dans les communautés.
Je souhaite que ce texte, qu’on se soit reconnus un peu, moyen, beaucoup, ou totalement, soit un appel à être intentionnel quand on approche autrui, ou qu’on cogne à la porte de son intimité, de ce temple sacré.
- C'est une invitation à prendre l’habitude de se demander quelles sont nos intentions véritables, avant d’agir.
- À réellement considérer le bien-être de cette personne, avant de l'approcher.
Par exemple, si une belle jeune femme pleure, à la suite à un atelier et que tu veux l’approcher, il est impératif de comprendre pourquoi :
- Je veux la consoler parce qu’elle est jolie?
- Je veux être important pour elle?
- Serait-elle mieux accompagnée d’une personne libre de tout agenda caché?
Soyons honnête envers nous-même
Il faut arrêter d’agir par compulsion, par blessure, dans l’intimité et la vulnérabilité des gens, si on veut réellement servir le bien commun dans nos commmunautés. Cogner à la porte de l’intimité romantique d’une personne ne devrait jamais être fait à la légère.
Ne devrait jamais être fait à la masse.
Ne devrait jamais être consommé allègrement.
C’est un espace sacré.
Et surtout, arrêtons de minimiser, voire glorifier ce phénomène. « Wow, il pogne ». Quand j’entends cela, pour moi, c’est comme d’admirer les braconniers qui massacrent des magnifiques animaux dignes - aigles, éléphants, girafes. As-tu observé ce qu’il a mis en place (potentiellement manipulation, perversion, etc.) pour que ça « marche », justement? Pourquoi un homme qui massacre émotionnellement plusieurs femmes serait mis sur le podium?
C’est un criss de problème, entre vous et moi.
En terminant
Ça m’a pris des mois écrire ce texte. Et à me résoudre à le publier.
À saisir les subtilités de ce phénomène, à y voir clair, à comprendre quand la ligne est dépassée entre la séduction, la prédation, l’approche du « sauveur », le grooming, l’abus de pouvoir et de la vulnérabilité. À parler à des amies, des consœurs, des femmes qui ont subi ce comportement à divers degrés au sein de nos communautés. Mais ce sont des sujets importants. Et la vie m’a bien fait de me le dire : mon intuition me martèle d’écrire ce texte depuis longtemps.
J’aimerais tellement pouvoir dire à la version plus jeune de moi de faire attention, parce que certains hommes utilisent la gentillesse pour accéder à ton intimité et t’utiliser. Alors, si ceci pouvait éviter même à une seule personne d’ouvrir son jardin sacré à la mauvaise personne cet été pour y faire verser de l’encre, ce serait déjà beaucoup.
Vivement une communauté où la bienveillance guérit
Pas ou elle piège