Le deuil amoureux

Jun 09, 2025

Parfois, l’amour ne gagne pas.

Je prends un moment pour accueillir cette réalité qui perce le cœur, aujourd’hui.

Parfois, la connexion profonde, sacrée, vaste, inexplicable, qui unit deux personnes, et qui ne peut que se ressentir, mène quand même à sa perte. Et c’est incompréhensible pour moi. C’est aussi (très) difficile à accepter. Le lien est bien là, beau, immense, inébranlable à un niveau plus profond. Pourtant, les autres sphères humaines — mentales, émotionnelles ou autres — créent tout de même énormément de souffrance. Tellement de souffrance, qu’il devient une évidence que la relation, en soi, ne fonctionne pas. Et ne fonctionnera peut-être jamais. 

Devant de telles ruines, prendre la décision consciente de se quitter peut être un des plus grands gestes d’amour qui soit. Mais, au-delà de ces paroles bien faciles à dire, appeler à la dissolution de ce lien nous place réellement devant un immense exercice de confiance en la vie. De perte. De deuil.
Et ce n’est pas un petit deuil. Quand un tel lien nous visite dans la vie — une telle bénédiction, si je peux me permettre, parce que c’est vraiment ce que c’est — le travail d’âme de ce laisser-aller profond en se quittant est presque surhumain. Ça déchire, profondément. Aussi profondément qu’on a aimé. Cela nous demande les ressources les plus puissantes auxquelles on peut avoir accès.

Laisser partir l'autre, réellement. Le laisser se libérer de ce lien, sans soi. Il est là, je crois, le vrai amour, quand cette danse blesse. Mais il n'y a rien de facile là-dedans. Au-delà des paroles génériques de spiritualité à deux cents, ce réel travail d'âme crée une souffrance incommensurable. La psychiatre Elizabeth Kübler-Ross, que j'admire profondément, et a accompagné des mourants toute sa vie, dit que le deuil amoureux dans une séparation est pire que la mort de l'être aimé. Parce que dans la mort, il n'y a que le deuil. Dans la séparation, il y a le deuil de ce qui a été, et la confrontation à voir l'autre créer une nouvelle vie, sans soi. La seule chose qui m'aide vraiment à accepter, je la puise dans les familles de patients en fin de vie que j'ai eu le privilège d'accompagner. C'est de s'accrocher au fait que l'autre ne souffrira plus, dans ce passage. Qu'un patient en phase terminale très malade n'aura plus à rester dans cette souffrance, qu'il pourra prendre son envol vers une réalité meilleure. Dans le cas du deuil amoureux, le passage est la séparation, la création d'une nouvelle vie pour l'autre, et pour soi. 

Comment comprendre que même en présence d’un amour si profond, la relation, elle, n’arrive pas à déployer ses ailes? Que devant quelque chose de si beau, on puisse choisir, inconsciemment ou non, une réalité bien plus laide que ce lien sacré. Il semble que parfois, les âmes ne sont pas prêtes à honorer un tel lien. Pas prêtes à le chérir, à le protéger, à s’y dévouer entièrement. Il semble aussi que la compatibilité amoureuse, ou plutôt, la réelle compatibilité d’un partenaire de vie, est bien au-delà de simplement la profondeur d’un lien, de son essence, aussi pur soit-il. Même si la spiritualité a une importance capitale dans ma vie, un lien seulement à ce niveau ne peut combler les bases nécessaires à une relation durable, saine, épanouissante. C’est bien une évidence.

C’est facile de se séparer et de se détester après une telle souffrance. C’est facile de démoniser l'autre, de le/la haïr, même. À quelque part, on dirait que ça a peut-être un rôle à jouer initialement quand la séparation est trop déchirante. Pour se convaincre d’accepter l’inacceptable, peut-être.

Par contre, le réel chemin du deuil, pour moi, est dans honorer ce qui a été. Réellement. Honorer ce qu’il y avait, derrière toute cette souffrance – ces trahisons, chocs, peines, ou autres. Pleurer, oui, abondamment, des profondes blessures créées et réveillées pour les guérir, mais honorer, aussi, le beau. Comme on pose des fleurs sur une pierre tombale avec la plus grande des délicatesses.

Le travail de laisser-aller n’est pas simple. Il est graduel. Un à un, vague par vague, de laisser les souvenirs, émotions, profonds sentiments, couler, passer en soi, sans s’y attacher. D’accepter de voir un visage qu’on a chéri, caressé, devenir un souvenir. Un souvenir qu’on laisse passer en soi, nous traverser, sans plus le retenir. C’est déchirant. Mais c’est dans ce déchirement qu’on trouvera encore plus de lumière. Ça, je le sais. Parce que ce n'est pas le premier déchirement que je traverse, et traverserai.
Aho ✨